Chemin de Saint-Jacques et pèlerin Wifi

J’ai traduit intégralement cette très intéressante analyse de l’évolution des chemins de Paco Nabal, spécialiste des chemins et auteur de guides depuis les années 1990 (article publié dans El Pais le 11.11.2016). Du boom des auberges privée au pèlerin Wifi, le cheminant moderne sait-il encore remercier ?

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11.11.2016
Camino de Santiago Sociedad Anónima
En à peine une décennie, la plus connue des routes jacquaires en Espagne, a fait l’objet d’une mercantilisation jusqu’à des extrêmes insoupçonnés. Le Camino francés est un gigantesque négoce qui pourrait mourir de son succès. L’auteur de l’article a parcouru pour la première fois ce chemin en 1994, qui plus est, en février. Il se rappelle de sa solitude et de la rareté des infrastructures  : « il fallait marcher des kilomètres et des kilomètres sans le moindre bar où acheter un « bocadillo », et bien calculer ses étapes si l’on ne voulait pas dormir sous le porche d’une église. Les rares personnes qui aidaient les pèlerins le faisaient de manière désintéressée. Et chacun acceptait ces « pénuries de services » de bonne grâce, selon le dicton jacquaire : « le pèlerin n’exige pas, il remercie ». Paco Nabal est revenu tous les ans sur les chemins jacquaires, en tant qu’auteur de guides publiés par El Pais : « en 1994, on comptait 70 auberges sur les 800 kilomètres du Camino francés. Il y en avait 400 cet été 2016. Le cas le plus marquant est celui de Sarria, où l’on dénombre aujourd’hui…27 auberges ».

Le boom des auberges privées

Si une chose a considérablement transformé le chemin ces dernières années, c’est bien l’apparition et la prolifération des auberges privées. Dans certaines communes où n’existait que l’auberge municipale ou celle tenue par les associations des amis du chemin, elles se comptent par dizaines. Personne n’a voulu laisser passer la poule aux œufs d’or qui passe à sa porte en marchant. Tous les propriétaires d’une grande bâtisse antique et ruineuse située dans un village traversé par les flèches jaunes l’a convertie en auberge. Ou plutôt en hostel, car ces établissements ressemblent plus à des hôtels bon marché d’une quelconque ville européenne qu’à une auberge de pèlerins. Par exemple à Reliegos, là où en 2010 il n’y avait qu’une auberge tenue par les riverains, on en compte aujourd’hui 6. Alors qu’il ne s’agit même pas d’une ville-étape traditionnelle.

Les repas, point-clé du commerce privé

Les repas constituent l’une des mannes essentielles du commerce des auberges privées. Si l’on arrive dans un village sans la moindre alimentation pour acheter du pain et quelques denrées mais où trois auberges se sont implantées, l’on n’a d’autres choix que d’accepter le dîner et le petit-déjeuner proposés par ces établissements. Et de s’acquitter d’une facture moyenne de 23 euros : 10 euros pour la nuitée, 10 euros pour le dîner et 3 euros pour le petit déjeuner. Comme le reconnaissent sans aucune pudeur les tenanciers de ces auberges : « si nous laissions une cuisine en libre-service, ce serait contre-productif pour notre commerce, car les pèlerins prépareraient eux-mêmes leurs repas ». Il faut cependant reconnaître que les auberges privées sont en général plus neuves et offrent plus de services que les auberges publiques.

Commerce saisonnier contre accueil désintéressé à l’année

Autre différence entre public et privé : 90% du secteur privé n’ouvrent que de mars (ou de la semaine sainte) à novembre, lorsqu’il y a le plus de pèlerins. Le chauffage coûte cher. Rester ouvert pendant l’hiver pour quelques hypothétiques pèlerins n’intéresse pas les privés. Les hospitaliers et volontaires qui gèrent les auberges municipales disent qu’en hiver, seules ceux qui s’intéressent vraiment aux pèlerins restent ouverts.

La guerre des flèches jaunes

Il y a aussi la guerre des flèches jaunes. Chacun y va de son pinceau, pour détourner les marcheurs vers leur établissement. Le problème n’est pas nouveau, mais s’est aiguisé avec la démultiplication de l’offre. Il n’est pas rare de voir des flèches fraîchement peintes ou mal dessinées, indiquant auberges ou bars. Les frictions, voire les bagarres entre propriétaires ne sont pas rares, pour dévier la poule aux œufs d’or vers leur commerce. On ouvre un négoce concurrent quelques rues avant, voire à l’entrée du village. Quand il existe plusieurs auberges dans une commune, les premières se remplissent toujours en premier.

Le pèlerin, vulgaire client des bars et restaurants

Les bars et les restaurants ne sont pas en reste. Certains d’entre eux, assurés de voir passer plusieurs centaines de marcheurs chaque jour, n’accordent pas d’importance à l’accueil du pèlerin et à la qualité de la nourriture proposée.
Les pèlerins eux-mêmes ont changé, composant de nos jours une foule bigarrée aux besoins divers. Tous n’acceptent pas de côtoyer une soixantaine de personnes dans un dortoir. L’offre de chambre double s’est donc développée, à 40 euros la nuit.
Quand la première édition des guides de Paco Nabal fut publiée, en 1999, était mentionné si le village comptait ou non une…cabine téléphonique. Aujourd’hui, la première question du pèlerin arrivant dans une auberge porte sur son équipement en Wifi. Ce qui est le cas un peut partout, à l’exception de certaines auberges municipales ou parroissiales. Toutes les auberges de la Xunta de Galicia en sont pourvues.

Les nouveaux pèlerins

La façon d’aborder le chemin a changé à l’instar de la société. Avant, on supposait que si quelqu’un partait sur les chemins, c’était en quête de silence, de solitude et de monologue avec soi-même. Aujourd’hui, dans les bars ou les auberges, tous sont penchés sur l’écran de leur téléphone mobile. Le côté sombre de l’irruption des mobiles, c’est que les pèlerins sont pendus à leurs téléphones. Avant, ils se racontaient des histoires, faisaient connaissance, partageaient leurs expériences, parlaient d’ampoules, de chiens menaçants ou de sentiers mal indiqués. Des pèlerins Wifi connectés en permanence…

Le pèlerin Wifi

Le sentiment général est que tout est plus organisé, préparé. On réserve sur Booking, on expédie des mails pour réserver des lits, on se connecte sur Facebook pour demander une place dans une auberge. Il y a même des agences qui proposent de tout organiser. Il suffit de leur dire de combien de jours et de quel budget on dispose. Elles réservent alors les hébergements et se chargent du transport des bagages. Le candidat au chemin paye en avance, et sait d’emblée où il va s’arrêter. Il ne reste plus beaucoup de marge pour l’improvisation.

Le pèlerin exige ou remercie ?

Une autre sensation émerge chez les hospitaliers aguerris : le pèlerin exige toujours plus. Auparavant, le cheminant remerciait pour ce qui lui était offert, dormait où il pouvait, acceptait les conditions imposées. Aujourd’hui, le marcheur connaît la rivalité entre les établissements pour l’attirer, et il se sert de l’abondance de l’offre pour marchander. C’est en quelque sorte le serpent qui se mord la queue. Si le commerçant ne voit dans le pèlerin qu’un client à qui soustraire de l’argent, il ne faut pas qu’il s’attende à des relations de gratitude comme il en existait d’antan. Si l’on traite un pèlerin comme un billet de 20 euros, celui-ci exigera un service pour une valeur de 20 euros.

Le pèlerin Lonely Planet

Un autre profil de marcheur contribue au changement de mentalité : celui du jeune nord-américain, néo-zélandais, australien ou d’Europe centrale en année sabatique, en quête d’aventure et de rencontres. Il y a chaque année plus de jeunes étrangers qui viennent profiter des tarifs attractifs du chemin comme ils partiraient faire du tourisme en backpacker en Asie du Sud-Est. Une manière de parcourir l’Espagne, mangeant, buvant et dormant pour 20 euros par jour. Une offre imbattable, mais qui contribue à affaiblir le sens humaniste du pèlerinage.

Les hospitaliers volontaires ou l’esprit du chemin

Il y a une institution digne d’éloges : celle des hospitaliers volontaires. Des anonymes qui consacrent leurs vacances à gérer des auberges paroissiales, municipales ou associatives. Ils changent tous les 15 jours et offre un accueil dans le plus pur sens chrétien du terme. Il s’agit souvent d’auberges fonctionnant en donativo, où le pèlerin participe à un dîner et un petit déjeuner communautaires. Certes, ces lieux sont plus austères que les auberges privées. Dans certaines, on dort sur des matelas à même le sol. Beaucoup n’ont pas de chauffage. Parfois, il n’y a pas d’eau chaude. Mais le sentiment de recueillement et d’être le bienvenu supplée à ces carences éventuelles. Le problème dans ces rares auberges qui demeurent est que les pèlerins confondent souvent donativo et gratuité. Parfois, les dons couvrent à peine la nourriture. Les cheminants laissent beaucoup moins que ce qu’ils donneraient dans un gîte privé.

L’esprit du chemin

Alors, reste-t-il quelque chose de l’esprit du chemin ? Bien sûr que oui. Et le camino demeure une aventure personnelle des plus recommandables. L’on y rencontre des gens merveilleux, des hospitaliers qui vivent leur mission comme une forme de service aux autres. Et des marcheurs qui se rendent à Compostelle avec un esprit religieux, de méditation, de quête personnelle ou simplement humaniste. Le chemin de Saint-Jacques vit depuis 12 siècles, passant par des moments de gloire puis d’oubli. Il a permis de repeupler certains territoires et de répandre art et culture. Il fut dès son origine une voie commerciale. Alors pourquoi ne survivrait-il pas à l’ère digitale ?
Il y a autant de chemins vers Compostelle que de cheminants. Il demeurera toujours des pèlerins qui aborderont la marche vers Saint-Jacques de Compostelle en remerciant, et non pas en exigeant !
http://elpais.com/elpais/2016/11/08/paco_nadal/1478600036_788887.html
Article en espagnol

Les 20 ans de l’association bretonne des Amis de Saint-Jacques

Pour l’assemblée générale de ses 20 ans, l’association bretonne des Amis de Saint-Jacques a fait preuve d’originalité, en offrant à ses membres un concert de son choeur jacquaire Mouez Ar Jakez, ainsi qu’une pièce de théâtre intitulée « Coup de théâtre à Sixt » (du nom de la commune où se déroula cette assemblée). Voici quelques extraits de ces deux belles animations de la journée.

Le premier CD du Choeur Mouez Ar Jakez, enregistré en 2011

Le premier CD du Choeur Mouez Ar Jakez, enregistré en 2011

Attention, il y a deux vidéos sur cette page. Pour couper le son de l’une d’elle, passer votre souris en bas de l’écran de la vidéo (bande noire) et désactivez le haut-parleur !

Après la musique…les paroles des chants jacquaires…

Paroles des chants du concert (1)

Paroles des chants du concert (1)

Paroles des chants du concert (2)

Paroles des chants du concert (2)

Paroles des chants du concert (3)

Paroles des chants du concert (3)

Paroles des chants du concert (4)

Paroles des chants du concert (4)

Vous avez aimé la prestation du choeur Mouez Ar Jakez ? Découvrez quelques extraits de la pièce de théâtre mise en scène par Thierry Rouxel, et vous vous retrouverez certainement dans l’un ou l’autre des profils de pèlerins évoqués. Ultréia !

1/04/2016 : une seule crédentiale valide pour l’obtention de la Compostela ?

3 chemins parcourus, et 4 crédentiales différentes...© Fabienne Bodan

3 chemins parcourus, et 4 crédentiales différentes…© Fabienne Bodan

Le chapitre de la cathédrale de Saint Jacques de Compostelle a publié le 17 décembre 2015 une note sur son site internet destinée aux associations et organismes délivrant les crédentiales nécessaires à l’obtention d’un lit dans les auberges pour pèlerins et de la Compostela à l’arrivée à destination. « Aujourd’hui, nous acceptons plus de 25 modèles de crédentiales, dont les tarifs varient de la gratuité à une vingtaine d’euros. Certains les vendent également sur Internet. Un accueil pastoral, une attention toute particulière, et la gratuité doivent être les objectifs majeurs de notre présence sur le chemin et les objectifs du pèlerinage ». Forte de ce préambule, le communiqué officiel poursuit en stipulant que « la crédentiale de la cathédrale de Santiago doit être considérée comme l’unique valide. En outre, son prix ne pourra pas excéder deux euros ». Il semblerait que les autorités écclésiastiques compostellanes aient décidé de porter un coup d’arrêt aux dérives commerciales autour de ce précieux sésame : « la gestion de la crédentiale ne peut reposer sur des critères commerciaux ou de profit ».

La première était un carnet intéressant par son format aux larges cases. © Fabienne Bodan

La première était un carnet intéressant par son format…© Fabienne Bodan

...aux larges cases... © Fabienne Bodan

…aux larges cases… © Fabienne Bodan

J’ai moi-même constaté en septembre 2015 que certains offices du tourisme dans le Sud-Ouest de la France n’hésitaient pas à vendre le carnet du pèlerin jusqu’à 8 ou 9 euros, alors qu’un document strictement identique est délivré au bureau des pèlerins de Saint-Jean-Pied-de-Port pour la modique somme de 2 euros. En outre, lorsque la crédentiale est délivrée hors du circuit des associations de pèlerins et de l’église, l’identité et les motivations réelles du requérant ne sont pas systématiquement contrôlées. Au risque de se faire fusiller du regard et de recevoir quelques remarques désobligeantes, les accueillants du bureau de Saint-Jean-Pied-de-Port ont pour consigne de ne délivrer le carnet du pèlerin qu’en mains propres à ceux qui présenteront une pièce d’identité et qui partent à pied, à vélo ou à cheval. Car le laisser-aller dans la remise des crédentiales témoigne des dérives commerciales du « pèlerinage » vers Compostelle, et se traduit par l’affluence des « turigrinos » heureux de venir randonner et faire la fête à des tarifs défiants toute concurrence. Sans parler des groupes conduits par l’accompagnateur d’une agence de voyages, qui veulent le beurre et l’argent du beurre, la facilité mais aussi l’atmosphère et n’hésitent pas à venir dormir dans les auberges réservées initialement aux pèlerins à pied, à vélo ou à cheval, munis du précieux sésame. Je me suis déjà exprimée sur ce sujet. A chacun sa manière de cheminer, et je n’ai pas à prendre position sur un quelconque choix. Mais que l’on réserve les auberges aux pèlerins à pied, à vélo ou à cheval. Les clients des agences de voyage n’y ont pas leur place, ou du moins devraient attendre que tous les autres soient certains d’obtenir un lit avant d’être pourvus. En outre, des documents spécifiques ont été conçus pour cette catégorie de pèlerins, qui effectuent généralement chaque jour une partie du trajet à pied, et l’autre en bus, et la crédentiale ne leur est pas destinée.

Celui-ci vient d'Espagne...© Fabienne Bodan

Celui-ci vient d’Espagne…© Fabienne Bodan

L’archevêché de Saint-Jacques précise que « si une association ou un organisme souhaite personnaliser la crédentiale officielle, il sera possible de laisser un espace vierge, qui, moyennant l’accord de l’office d’accueil des pèlerins, pourra être personnalisé sans contredire toutefois l’esprit chrétien du pèlerinage. L’office des pèlerins de la cathédrale se chargera de l’impression des documents ».

Pour ne pas causer de préjudices aux organismes délivrant des crédentiales différentes, les autorités de la cathédrale leur ont accordé un moratoire. La nouvelle règle n’entrera en vigueur que le 1er avril 2016. « A partir de cette date, seules les crédentiales officielles de la cathédrale seront admises pour la délivrance de la Compostela ».

Celui-ci du bureau des pèlerins de Saint-Jean-Pied-de-Port...© Fabienne Bodan

Celui-ci du bureau des pèlerins de Saint-Jean-Pied-de-Port…© Fabienne Bodan

Qu’en sera-t-il pour les associations étrangères habituées à délivrer leurs propres crédentiales ? « Elles seront régies par un accord spécial ». Le communiqué et les articles publiés ne précisent par les termes de cet accord. Même si les autorités compostellanes considèrent accorder un moratoire aux associations émettrices de carnets du pèlerin, on peut cependant s’interroger sur le faible délai qui leur est concédé pour écouler leurs stocks. L’hiver est une saison creuse, et il ne faut guère compter sur cette saison pour se débarrasser de documents qui seront obsolètes dès le début de la haute saison, dans moins de quatre mois. En outre, certaines d’entre elles ont certainement pris les devants et procédé à la fabrication des crédentiales qu’elles escomptaient écouler en 2016…

Faisant suite à la proposition de la Fraternité Internationale du Camino de Santiago (FICS) d’augmenter la distance à parcourir pour se voir délivrer la Compostela, le chapitre de la cathédrale n’a aucune intention de souscrire à cette demande. Bégoña Valdomar, présidente de l’association galicienne des Amis du Camino de Santiago affirme, à cet égard, que le « problème ne réside pas tant dans le nombre de kilomètres minimal à parcourir que dans le fait que ce chemin est désormais présenté comme un « produit touristique . Si nous ne cessons de le vendre sous cette étiquette, la massification de la fréquentation du camino s’amplifiera ».

Les cases y sont plus étroites que dans le premier carnet...© Fabienne Bodan

Les cases y sont plus étroites que dans le premier carnet…© Fabienne Bodan

La crédentiale de l'association bretonne des amis de Saint-Jacques dont je suis membre...© Fabienne Bodan

La crédentiale de l’association bretonne des amis de Saint-Jacques dont je suis membre…© Fabienne Bodan

Sources :

http://www.lavozdegalicia.es/noticia/santiago/2015/12/17/oficina-peregrino-solo-admitira-credenciales-oficiales-expedir-compostela/00031450351725718302765.htm

http://catedraldesantiago.es/es/nota-credencial-peregrino-dic15

http://www.alberguescaminosantiago.com/2015/12/hacia-una-unica-credencial-para-los-peregrinos-del-camino/

http://www.elcorreogallego.es/santiago/ecg/catedral-unificara-modelos-credenciales/idEdicion-2015-12-18/idNoticia-970185/

2016, année sainte extraordinaire à Compostelle comme à Rome

La porte sainte de la cathédrale de Saint Jacques de Compostelle © Fabienne Bodan

La porte sainte de la cathédrale de Saint Jacques de Compostelle © Fabienne Bodan

Le 13 décembre 2015, troisième dimanche de l’Avent, à 17 heures, sera ouverte la Porte de la Miséricorde de la cathédrale de Saint Jacques de Compostelle. Le diocèse de la capitale galicienne célèbrera lors de cette cérémonie l’entrée dans l’année sainte extraordinaire de la miséricorde annoncée le 13 mars 2015 par le pape François, jour anniversaire de son élection du 13 mars 2013 et confirmée par sa bulle d’indiction du 11 avril 2015. Cependant, la cérémonie d’ouverture demeurera sobre et n’aura rien à voir avec celle qui prévaut lors des années jacquaires. La Conférence épiscopale espagnole a élaboré un rituel simple qui sera appliqué dans toutes les cathédrales de la péninsule ibérique.

En effet, cette Année Sainte de la Miséricorde, convoquée par le souverain pontife du 8 décembre 2015 au 20 novembre 2016, diffère totalement des années jacquaires ou jubilaires compostellanes. Ces dernières ont lieu, rappelons-le, lorsque le 25 juillet tombe un dimanche, « en mémoire, selon le site de la Fondation David Parou, de ce que la découverte du tombeau de saint Jacques fut faite un dimanche…ce qui reste une hypothèse ». Soit à un rythme immuable de 4 fois tous les 28 ans, selon des cycles répétitifs de 6-5-6-11 ans. La dernière année jacquaire remonte à 2010, les précédentes à 2004 et 1999. La prochaine aura lieu en 2021, soit 11 ans après celle de 2010. Dans son article intitulé « qu’est-ce qu’une année jacquaire », la Voz de Galicia rappelle que «lorsque cela arrive (14 fois par siècle), l’Église catholique a le pouvoir d’accorder l’indulgence plénière aux fidèles qui se rendent en pèlerinage au tombeau de l’Apôtre en la cathédrale de Saint-Jacques, prient aux intentions du Souverain Pontife, reçoivent les sacrements de la confession et de la communion et assistent à la sainte messe ».

Maître Jacques attend les pèlerins, entourée de ses deux disciples Athanase et Théodomir. © Fabienne Bodan

Maître Jacques attend les pèlerins, entourée de ses deux disciples Athanase et Théodomir. © Fabienne Bodan

Ces jubilés attirent les pèlerins en masse : 272 135 en 2010, en augmentation de 86,55% par rapport à l’année précédente ; 179 944 en 2004. La fréquentation chute drastiquement l’année suivante : 183 366 en 2011, en recul de 32,61% ; 93 924 en 2005, soit 47,80% de moins que l’année précédente. Il convient de noter que la proportion d’espagnols est plus élevée lors des années jubilaires : 69,12% en 2010 et 76,23% en 2004, alors que le pourcentage d’ibériques oscille sur 10 ans entre 48,52 % et 56,35% du nombre total de pèlerins enregistrés au bureau de Saint-Jacques de Compostelle. Fin novembre 2015, on dénombre 260 396 cheminants ayant rallié la capitale galicienne depuis le 1er janvier. Qu’en sera-t-il en 2016 lors de cette année sainte imprévue ? Les capacités d’accueil sur les différents chemins résisteront-elles à une affluence supplémentaire ? Ou bien les candidats au pèlerinage décideront-ils de fuir ces caminos par trop encombrés ?

Apôtres, Saints et maîtres encadrent la porte de la place de la Quintana. © Fabienne Bodan

Apôtres, patriarches et prophètes encadrent la porte de la place de la Quintana. © Fabienne Bodan

Habituellement, l’année jacquaire est inaugurée le 31 décembre précédent, par la cérémonie d’ouverture de la Porte Sainte, située sur la place de la Quintana, du côté opposé à celle de l’Obradoiro. « L’archevêque de Compostelle frappe à l’aide d’un marteau en argent trois fois la cloison qui mûre cette porte donnant sur la praza da Quintana. La cloison symbolise la dureté du Chemin. De cette manière, les fidèles demandent à l’apôtre saint Jacques la permission d’entrer. Ensuite, la porte tombe. » Par la porte en fer forgé visible de l’extérieur, on pénètre dans une petite cour, avant de parvenir à la porte sainte par laquelle on accède à l’abside. Cette porte demeure ouverte pendant 12 mois, pour être ensuite refermée jusqu’à la prochaine année jubilaire. L’apôtre Saint Jacques trône au dessus de la Porte Sainte, entourée de ses deux disciples Athanase et Théodomir. 24 statues du XIIe siècle, d’apôtres, de patriarches et de prophètes, encadrent cette porte dite du pardon. Elle furent récupérées du choeur en pierre de maître Matteo. La porte sainte figure parmi les 7 plus petites de l’édifice. Elle est consacrée à Saint Pelage (Pelayo en espagnol), martyre torturé à mort en 925 par les musulmans à Cordoue en Andalousie, à l’âge de 13 ans. Le monastère des bénédictins de Saint-Pélage d’Anteatares, en face de cette porte, lui est dédié.

Ils sont 24 au total © Fabienne Bodan

Ils sont 24 au total © Fabienne Bodan

Alors c’est du côté de Rome qu’il faut chercher une explication. Le premier jubilé ordinaire fut convoqué en 1300 par le pape Boniface VIII. Le successeur de Saint-Pierre prévoyait un jubilé par siècle. Dante, Giotto, Charles de Valois, frère du Roi de France, figurèrent parmi les pèlerins de cette première année sainte. Initialement prévu 100 ans plus tard, le jubilé suivant eu lieu en 1350. On rajouta la visite de la basilique du Latran à celles de Saint Pierre et de Saint Paul Hors-les-Murs. Plus tard, le pape Urbain VI décida de fixer l’échéance à 33 ans, temps de vie terrestre du Christ. En 1470, Paul II établit la périodicité du jubilé « ordinaire » tous les 25 ans. 26 se sont succédés depuis le premier en 1300.

Réunis deux par deux...© Fabienne Bodan

Réunis deux par deux…© Fabienne Bodan

En revanche, un jubilé extraordinaire est convoqué à l’occasion d’un événement remarquable : en 1933, pour le XIXe centenaire de la rédemption, en 1983 pour les 1950 ans de la rédemption. Le pape François, dans sa bulle du 11 avril 2015, explique la convocation de cette année sainte extraordinaire : « Nous avons toujours besoin de contempler le mystère de la miséricorde. Elle est source de joie, de sérénité et de paix. Elle est la condition de notre salut. Miséricorde est le mot qui révèle le mystère de la Sainte Trinité. La miséricorde, c’est l’acte ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre. La miséricorde, c’est la loi fondamentale qui habite le cœur de chacun lorsqu’il jette un regard sincère sur le frère qu’il rencontre sur le chemin de la vie. La miséricorde, c’est le chemin qui unit Dieu et l’homme, pour qu’il ouvre son cœur à l’espérance d’être aimé pour toujours malgré les limites de notre péché. Il y a des moments où nous sommes appelés de façon encore plus pressante, à fixer notre regard sur la miséricorde, afin de devenir nous aussi signe efficace de l’agir du Père. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu ce Jubilé Extraordinaire de la Miséricorde, comme un temps favorable pour l’Eglise, afin que le témoignage rendu par les croyants soit plus fort et plus efficace.»

Cette année sainte verra-t'elle grandir l'affluence des pèlerins vers la capitale galicienne ? © Fabienne Bodan

Cette année sainte verra-t’elle grandir l’affluence des pèlerins vers la capitale galicienne ? © Fabienne Bodan

Le souverain pontife ouvrira la porte sainte de la basilique Saint-Pierre le 8 décembre 2015, jour de la fête de l’Immaculée Conception et du cinquantième anniversaire de la fermeture du Concile Vatican II, le 8 décembre 1965. Rappelons que ce Concile fut ouvert à Rome par le pape Jean XXIII le 11 octobre 1962. Le rite d’ouverture de la Porte Sainte exprime le symbole que, durant le jubilé, un «parcours extraordinaire» vers le salut est offert aux fidèles. Le dimanche 13 décembre, la porte sainte sera ouverte dans la cathédrale de Rome de Saint Jean de Latran, puis celle des deux autres basiliques papales de Saint Paul Hors-les-Murs et Sainte-Marie-Majeure. De même « toutes les cathédrales ou églises d’importance particulière et sanctuaires devront ouvrir une « Porte de la Miséricorde » durant l’Année sainte ». Cette année jubilaire sera clôturée le jour de la fête du Christ-Roi, le 20 novembre 2016.

Seul maître Jacques est dans le secret des Dieux :-) © Fabienne Bodan

Seul maître Jacques est dans le secret des Dieux 🙂 © Fabienne Bodan

2016 sera décidément marquée par des événements exceptionnels. Saint Gilles du Gard, sur la voie d’Arles, fêtera les 900 ans de son abbatiale inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Les festivités débuteront le 3 avril et se poursuivront l’été durant, avec en point d’orgue le 27 août, l’accueil des pèlerins de France et d’Europe. La cathédrale Notre Dame du Puy-en-Velay fêtera son jubilé du 25 mars au 15 août 2016. Il en va ainsi lorsque le 25 mars, jour de l’annonciation (conception du Christ selon l’esprit saint), coïncide avec le vendredi saint (mort du Christ sur la croix). En 2005, le précédent jubilé avait attiré 250000 pèlerins, venus implorer « le grand pardon ». Pour le suivant, il faudra attendre…2157. Enfin, les reliques du sang du pape Jean-Paul II seront installées de façon permanente dans la chapelle des reliques de la cathédrale le dimanche 13 décembre 2015. Au point de départ (Le Puy-en-Velay) comme à l’arrivée (Saint Jacques de Compostelle), les pèlerins répondront-ils présents à l’appel, en quête du grand pardon et de miséricorde ? Ou diffèreront-ils leurs projets, par crainte d’un surencombrement sur les chemins et dans les structures d’accueil ?

Sources :

http://www.catedraldesantiago.es/sites/default/files/pdf/Carta_Pastoral_Misericordia_JulianBarrio.pdf

http://www.catedraldesantiago.es/sites/default/files/pdf/El%20camino%20de%20la%20misericordia.pdf

http://www.abc.es/espana/galicia/abci-puerta-santa-catedral-santiago-abrira-13-diciembre-201511101239_noticia.html

http://caminodesantiago.lavozdegalicia.com/fr/quest-ce-quune-annee-jacquaire/

http://www.lavozdegalicia.es/noticia/santiago/santiago/2015/10/23/cabildo-inclino-balanza-favor-abrir-puerta-santa/0003_201510S23C19911.htm

http://www.saint-jacques.info/anneesaintes.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cathédrale_de_Saint-Jacques-de-Compostelle

http://m.vatican.va/content/francescomobile/fr/apost_letters/documents/papa-francesco_bolla_20150411_misericordiae-vultus.html

http://www.eglise.catholique.fr/actualites/391510-le-pape-francois-annonce-un-jubile-de-la-misericorde/

http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Une-Annee-de-misericorde-pour-changer-de-vie-2015-04-12-1301559

http://www.jubiledupuyenvelay2016.cef.fr/jubile-du-puy-en-velay-2016/les-jubiles-dr18.html

http://www.cathedraledupuy.org/vie-de-la-cathedrale/actualites/translation-des-reliques-de-saint-jean-paul-ii