Après la publication de mes premiers articles sur mon chemin de Compostelle 2012 (Via Podiensis et Camino francés) dans le numéro 148 de la revue Globe-Trotters Magazine de l’association ABM (Aventuriers du bout du monde), j’ai proposé au comité de rédaction de l’association une série de portraits de pèlerins de Compostelle dans le cadre du numéro spécial « Sur les Chemins de… » N°150 de juillet-août 2013.
4 septembre 2012. Roxane, jeune québécoise de 24 ans, entame son périple compostellan. Elle a accroché à son sac à dos, un “capteur de rêves” et une multitude de petits flacons.
Globe-Trotters Magazine : Comment t’est venue l’idée de partir sur les Chemins de Compostelle ?
Roxane Bellerose-Morin : Je revenais de quinze mois en Océanie et Asie du sud-est où j’avais passé le plus clair de mon temps dans une tente et sur la route, à simplement m’amuser et vivre. Ma perception de la réalité québécoise avait complètement changé et mes relations humaines se détérioraient de jour en jour. Je faisais du bénévolat pour compenser ce mal de vivre dans cette société. C’est alors qu’une amie m’a demandé quel serait mon prochain voyage. J’ai répondu sans vraiment réfléchir que les Chemins de Compostelle m’avaient toujours intriguée : l’appel de la nature, la simplicité du style de vie…
Pourquoi as-tu emporté ce capteur de rêves, toi la pèlerine du Québec ?
J’avais organisé en août une “journée de rêves”. Chacun devait écrire sa plus grande aspiration sur un papier d’une couleur qui le représentait. En accrochant au capteur de rêves des petits flacons contenant ces petits bouts de papier, j’ai emporté tous ces voeux vers Compostelle. C’était purement symbolique : mon but premier était que les personnes réveillent leurs aspirations. Même si leur rêve ne parvenait pas à destination, il resterait toujours dans leurs pensées ! Et pour moi, ça me permettait d’accessoiriser mon sac à dos. Un ami en Espagne m’a donné une plume de paon et une autre de hibou, car toutes mes plumes avaient disparues depuis Toulouse! Le flacon d’une amie s’est échappé au moment même où il se passait un grand changement positif dans sa vie!
Le Chemin n’a pas été de tout repos pour toi…
J’ai du parfois prendre le bus ou faire du stop pour soulager mes chevilles. Lorsque je suis montée à la Cruz del Ferro (NDLR : l’un des lieux mythiques du Camino francés, où les pèlerins déposent une pierre ou un objet emportés de chez eux, comme pour se délester symboliquement de ce qui ne leur convient plus dans leur vie), j’ai compris plein de choses. Le soir, mes tendinites aux deux chevilles avaient empiré. Il s’est alors passé quelque chose d’étrange. J’ai rencontré une dame qui m’a fait prendre conscience que “la façon dont je faisais le chemin était identique à la façon de gérer ma vie”.
Marcher à l’envers
Du coup, j’ai eu un flash en m’endormant le soir : refaire un bout du chemin parcouru… à l’envers. Je voulais me faire prendre conscience que dans la vie, il faut passer par des étapes ennuyeuses : lorsqu’on cherche à l’éviter, il se peut que les conséquences soient pires. Marcher à l’envers faisait encore plus de sens parce que ça allait ajouter de la difficulté dans l’expérience. Du coup, je me suis habituée au silence et j’ai apprécié ma compagnie. J’ai réussi à m’écouter. J’ai cessé d’être influencée par les autres. Je n’ai pas atteint ma destination : ma dernière journée de marche a nécessité cinq heures pour…cinq kilomètres. Les tendinites étaient définitivement revenues. J’ai donc pris le train pour Santiago et ensuite l’avion pour Barcelone et Toulouse. Deux jours plus tard, je m’envolais pour Montréal.
Envisages-tu, malgré tout, de revenir sur les Chemins de Compostelle ?
Oh oui. En avril 2014 ! Je veux marcher sur la voie d’Arles, et terminer le Camino francés.
Qu’est-ce qui a changé dans ta vie depuis ton retour du Chemin ?
Ma peur bleue des chiens a disparu. En outre, je trouve la Cathédrale de mon village magnifique. Je parle aux étrangers avec une aisance remarquable. Désormais, je comprends l’espagnol. Je ressens le besoin de marcher à l’extérieur chaque jour. J’ai appris comment faire des capteurs de rêves. Enfin, j’ai décidé de faire, une à une, toutes les choses dont je rêve…
Propos recueillis par Fabienne Bodan (56)